Le 29 juillet 2024 disparaissait la poète et essayiste Annie Le Brun. Un mois plus tôt, cette dernière nous avait accueillis chez elle et évoquait certains de ses auteurs favoris. Le Book Club rend hommage à cette grande figure de la vie littéraire à travers cet entretien inédit.
- Annie Le Brun, ecrivain
Née en 1942, Annie Le Brun était poète, essayiste, spécialiste de l'œuvre du Marquis de Sade et de Victor Hugo. Penseuse de la beauté et de la liberté, au début de l'été 2024, elle avait accepté de nous recevoir dans son appartement débordant de livres. Disparue quelques semaines après cet entretien, le dernier qu'elle accorda, l'évocation du désir comme force motrice de la vie y était centrale. Nous sommes d'autant plus émus de le partager aujourd'hui.
Dans cette première bibliothèque construite avec son mari, le poète croate Radovan Ivsic, les livres sont une présence protectrice. Dans les caisses à fruits, puis dans celles de vin, se tiennent sur deux épaisseurs des ouvrages dans lesquels elle se repère sans mal. Rares sont les personnes qui parlent de la lecture avec tant de réel impact sur l'existence
Nous rencontrons Annie Le Brun à l’occasion de la parution de l’édition augmentée de son livre Qui vive, considérations inactuelles sur l'actualité du surréalisme. Dans ce texte de 1991, les auteurs sont loués pour le risque pris à éprouver leur pensée, à la faire coïncider avec leurs vies et leurs corps. Nous lui avons demandé comme à chacun de nos invités de choisir cinq textes. Ils racontent, sans détour, la conscience poétique d'Annie Le Brun, son appétit de gaité et de lyrisme, son désir de savoir toujours accroché au désir tout court.
À lire aussi
Les choix d'Annie Le Brun
Jean Genet, Le condamné à mort (Nrf/Gallimard)
"J’ai découvert ce texte à 17 ans. Je ne l’avais pas lu comme poème, mais je l’ai entendu chanté par Hélène Martin, et là, grâce à l’interprétation qu’elle en a faite, tout d’un coup, j’ai compris qu’à travers les mots passait un trouble qui, à ce moment-là, me hantait. J’ai découvert ce qu’on pourrait appeler le lyrisme, comme le développement d’une protestation existentielle, et dans le même temps, l’affirmation de la plus grande singularité de ce qui n’existera qu’une seule fois. Il y a quelque chose de très fort dans ce poème, puisque tout le merveilleux de la rencontre amoureuse est présent et concentré à un moment où cela va disparaître, mais que, néanmoins, à travers cette affirmation lyrique, la chose va continuer à vivre." Annie Le Brun
À écouter
Alfred Jarry, Le surmâle (La République des Lettres)
"À mes yeux, ce livre est la plus profonde réflexion sur l’amour jamais faite, qui se présente sous la forme la plus simple du monde. C’est un roman moderne et une charge contre toutes les sentimentalités, les bêtises, autour de l’amour qui ont pu être dites. Alfred Jarry montre à la fois l’impasse de l’idéalisme amoureux, mais aussi la vacuité de la performance sexuelle. Il perçoit que quelque chose peut s’inventer dans l’affrontement de deux altérités, tout en prenant en compte que le corps est une machine." Annie Le Brun
À écouter
Marquis de Sade, L'Histoire de Juliette (La Musardine)
"Le Marquis de Sade a passé 27 ans en prison, parce qu’il n’a jamais abdiqué et a continué à affirmer sa singularité. Ce qui m’a fascinée chez lui, c’est qu’à la période extraordinaire du XVIIIe siècle, où les philosophes, se libérant du joug de la religion, commencent à essayer de penser l’homme en fonction des hommes, Le Marquis de Sade renverse la perspective, en essayant de penser le monde à partir, non pas de ce qui le relie aux autres hommes, mais à partir de ce qui l’en différencie absolument et qui est justement sa singularité sexuelle, ce qu’on a appelé plus tard le sadisme. C’est ce courage de la pensée qui m’a complètement bouleversée." Annie Le Brun
À écouter
À écouter
Charles Cros, le poème Vocation, extrait du Coffret de santal (Editions Du Sandre)
"Ce texte me plait énormément, car c’est un manifeste contre le puritanisme, le moralisme, qui reviennent à chaque fois que les choses se referment et que les gens essaient de s’accrocher à quelque chose qui va contre les autres. Le puritanisme et le moralisme reposent sur la frustration, alors que, ce qui caractérise la poésie de Charles Cros, c’est son extraordinaire grâce d’être." Annie Le Brun
Victor Hugo, Promontoire du Songe (Gallimard/ L’imaginaire)
"Ce texte, c’est le regard de la poésie et l’un des plus grands plaidoyers qui soit pour l’imagination. Il l’écrit en 1863, et au moment où se met en place la société industrielle, il rédige ce plaidoyer pour l’imagination. C’est la luxuriance contre le manque, l’imagination contre le ressassement, avec ce pari extraordinaire, d'imaginer "le monde qui n’est pas encore, et qui est", pour citer Victor Hugo." Annie Le Brun
À écouter
Annie Le Brun : "Fascinée par tout ce qui se rapporte à la nuit et aux ténèbres, tout naturellement je me suis rapprochée de Victor Hugo"
Les Nuits de France Culture
33 min
Références musicales
Sufjan Stevens, Interlude 1 : dream sequence in subi circumnavigation
Mark Korven, What went we (BO The Witch)
The Velvet Underground, I’ll be your mirror
Sufjan Stevens, Movement 2 : sleeping invader
Mary Lattimore, It feels like floating
Floating Points, Movement 3
Heiner Goebbels, Grain de la voix : 4. Krunk
Emiliana Torrini, Love poem
Joanna Goodale, Metal moon (pour piano, gongs et bols chantant)
Joanna Goodale, Still snow (pour piano, gongs et bols chantant)
Jeannette Azzouz, So close to me
Recherche musicale : Nicolas Bichet, Pierre Plantin
Prise de son
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