dimanche 5 juin 2022

Javier CERCAS : sa voix compte parmi les plus inspirante dans toute l'Europe :

 


Javier Cercas explore les dessous pas très chics de la haute société catalane28 Minutes (02/06/2022)

Dans ses ouvrages, le romancier Javier Cercas mêle à la fois fiction et quête méticuleuse de la vérité, liberté d’invention du romancier et contrainte des faits historiques. Son dernier en date “Indépendance : Terra Alta II” prend place en 2025, à Barcelone.
 
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Carte blanche 

Pour sa carte blanche à France Inter, Javier Cercas a écrit un texte inédit.

Un danger public

"La littérature est une manière de vivre plus fort, d’une façon plus riche, plus complète, plus intense.

Ce n’est pas un hasard si c’est précisément ce qu’évoquent les meilleurs romans jamais écrits, à commencer par le Quichotte. Le protagoniste de ce livre — qui en réalité ne s’appelle pas Don Quichotte mais Alonso Quijano — est avant tout un lecteur, et son problème n’est pas, comme on le prétend, qu’il confond la réalité avec la fiction (les moulins à vent avec des géants), mais qu’il veut faire de la fiction une réalité : Alonso Quijano a passé sa vie enfermé, occupé à lire des livres d’aventures et à s’imaginer grâce à ces livres vivre une vie pléthorique, jusqu’à ce qu’il se dise à lui-même que c’en était assez, que c’était terminé, et qu’il s’invente alors un chevalier appelé Don Quichotte avec lequel aller à travers le monde pour connaître vraiment ce qu’ il n’avait jusque-là vécu que par la fiction.

C’est à peu près ce qui arrive à Emma Bovary. Comme Alonso Quijano, Emma est elle aussi une lectrice acharnée et ses livres de chevalerie, ce sont les histoires romantiques. Elles lui font concevoir le projet insensé de devenir à son tour une héroïne romantique, tout comme Alonso Quijano est devenu l’héroïque Don Quichotte. Les deux personnages sont en ce sens des lecteurs idéaux, deux parfaits emblèmes du lecteur, et les romans dont ils sont les protagonistes contiennent une invitation à l’aventure plus audacieuse, plus révolutionnaire et subversive : celle de vivre en accord avec nos désirs. Dès lors on comprend que Platon ait voulu expulser les poètes de sa République idéale et que, depuis l’époque de Platon, tant de tyrans, d’inquisiteurs et de commissaires politiques aient dénoncé les dangers de la littérature en général, et du roman en particulier.

Ils ont absolument raison : un homme ou une femme avec un bon livre à la main est un danger public, une bombe à retardement ambulante, un potentiel libre penseur, un insubordonné en puissance, un homme ou une femme capables de dire Non quand tout le monde autour de lui dit Oui — comme le font, de façon radicale, Alonso Quijano et Emma Bovary.

Parce qu’elle est faite de paroles en rébellion, l’authentique littérature représente toujours un danger pour le pouvoir, pour n’importe quel pouvoir, et c’est pour cette raison que le pouvoir veut toujours la contrôler. Il est même surprenant qu’il ne l’ait pas encore interdite."




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