Nobel de littérature 2024 : Han Kang racontée par son éditeur et son co-traducteur | France Culture
Pour la première fois, une femme née en Asie a été distinguée par le Nobel pour son oeuvre littéraire. Qui est celle dont six romans ont été publiés en France ? Comment qualifier son style ? Son éditeur actuel, Joachim Schnerf, et le précédent, Pierre Bisiou, qui l'a également traduite, répondent.
- Joachim Schnerf, editeur et écrivain
- Pierre Bisiou, traducteur
Une "prose poétique intense qui affronte les traumatismes historiques et expose la fragilité de la vie humaine", avec une "double exposition de la douleur, une correspondance entre le tourment mental et le tourment physique, en lien étroit avec la pensée orientale". C'est ainsi que le jury du prix Nobel de littérature a expliqué son choix ce jeudi dans un communiqué.
Autrice de poèmes, nouvelles et romans, Han Kang est devenue à 53 ans la première Sud-coréenne et première femme née en Asie à remporter la prestigieuse récompense. Et la 18e femme lauréate sur un total de 121 lauréats. Quand une minorité d'auteurs récompensés utilisent des langues pratiquées en Asie, en Afrique ou au Moyen-Orient. "Je suis tellement surprise et honorée", a réagi auprès de la fondation Nobel celle qui venait de terminer de dîner avec son fils chez elle, à Séoul : "C'était une soirée paisible". D'ajouter : "J'ai grandi avec la littérature coréenne, dont je me sens très proche. J'espère donc que cette nouvelle sera agréable pour les lecteurs de littérature coréenne et pour mes amis, écrivains et autres". Avant de recommander aux personnes qui souhaiteraient découvrir son oeuvre de lire son dernier roman Impossibles adieux (2023).
Nous avons justement interrogé l'éditeur chez Grasset de ce livre, Joachim Schnerf, et son co-traducteur avec Kyungran Choi, Pierre Bisiou, qui l'a également éditée jusqu'en 2019 aux éditions Le Serpent à plumes.
Son style
Pierre Bisiou évoque "une écriture très intimiste, parfois douloureuse. On est à l'opposé du style qui fonctionne le mieux en ce moment en Corée du Sud, les "livres qui font du bien". C'est quelqu'un qui regarde les douleurs, qui s'enfonce dedans et qui va le plus loin possible dans le sentiment, dans l'émotion. Elle est vraiment sans concession sur ce plan là et presque à se mettre en danger dans ce qu'elle écrit".
Celui qui connaît Han Kang depuis une dizaine d'années pense par exemple à Impossibles adieux et à ses "descriptions qui deviennent oniriques de la neige ou d'un oiseau". Avec "à la fois une portée historique sur le massacre de Jeju, qui est un fait historique, et s'y mêle, une histoire beaucoup plus intime d'une femme qui se retrouve seule dans une maison, la maison vide d'une amie, et qui qui est là pour essayer de sauver ses oiseaux. On est dans quelque chose qui devient totalement onirique, lyrique et assez bouleversant".
Pour Pierre Bisiou, "son style ne change pas totalement" au fil du temps mais Han Kang "a eu un passage par un livre très important - Blanc - qui est à la limite de la poésie. Elle y interroge la couleur blanche tout en révélant par bribes, de courts chapitres d'une page ou deux, une histoire personnelle très, très douloureuse. Ce livre presque composé de fragments est une pure merveille. On est vraiment à la limite entre le roman et la poésie et c'est quelque chose de fort chez elle, un peu le cœur de son écriture".
Et plus globalement, le traducteur éditeur voit dans ces écrits "une Corée vraiment très contemporaine qui s'interroge sur son passé. Et puis, elle a aussi une voix féministe, sans être militante, mais une voix de femme qui interroge aussi la société coréenne. Après, elle n'est pas que le reflet de son pays. Elle est vraiment une grande autrice à part entière".
Joachim Schnerf met lui aussi en avant la poésie de celle qui avait obtenu le prix Médicis étranger en 2023 et "sa façon de nous amener dans un sujet sans forcément que l'on voit les moyens qu'elle emploie". Avec "cette attention portée à chaque détail de la nature, à chaque détail des sentiments. Et on est complètement plongé là dedans, sans qu'elle ait à commenter ce qu'elle nous raconte. Elle nous fait vivre de l'intérieur ces moments terribles pour elle et pour la Corée du Sud".
À écouter
Le prix Nobel de littérature 2024 attribué à l'autrice sud-coréenne Han Kang
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Sa personne
Le directeur éditorial de chez Grasset a rencontré Han Kang à Paris comme à Séoul, où il est allé la voir en septembre dernier. "Nous avons passé pas mal de temps ensemble, raconte Joachim Schnerf. C'est une personne très discrète, elle n'aime pas beaucoup la lumière et en général elle évite le public, la foule. Et ce prix Nobel va être une vraie épreuve pour elle. Je ne sais pas comment elle va gérer les prochains mois. Elle connaît le jeu de la promotion, elle fait des voyages pour cela, mais elle n'est pas forcément à l'aise à la télévision. Elle préfère rester chez elle, avec son fils, écrire et prendre le temps."
"Elle aime passer du temps à discuter et les moments de silence. Nous avons parlé de littérature, de son fils, de sa vie, de son intimité. Une fois que l'on commence à la connaître, elle s'ouvre. Elle m'a montré le quartier où elle habite, son restaurant préféré, explique-t-il encore. J'ai même eu la chance de voir l'endroit où elle écrit, dans un tout petit studio qui est caché. Il faut savoir qu'elle est une vraie star en Corée du Sud et elle ne veut pas du tout que le monde puisse affluer pour la rencontrer."
Quant à son rapport à la France, où elle est venue deux fois, notamment pour son prix Médicis : "Elle a été très impressionnée et agréablement surprise de voir tout l'engouement qu'il pouvait y avoir pour son livre, à la fois dans une partie de la communauté coréenne de Paris, avec beaucoup de journalistes sud coréens basés à Paris venus l'interviewer, et plus généralement, notamment chez les plus jeunes , avec un intérêt pour la culture et la littérature coréennes".
À écouter
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