mardi 12 juillet 2022

Cécile COULON : "Le nom des choses humaines"

 


Coulon Cécile

LE NOM DES CHOSES HUMAINES
Ce qu’ils appellent naissance
c’est un moment qui dure une seconde ou dix ans
dans le sang d’une salle blanche
dans le blanc des chambres d’amoureux
dans le cœur des hommes peu habitués
aux secousses des paroles et des palmiers.
Ce qu’ils appellent naissance devient
mon fils ma fille ma merveille mon trésor
une vie a pris place dans la leur
et cette respiration nouvelle
efface toutes les lettres du mot malheur.
Ce qu’ils appellent naissance ce sont aussi les signatures
entre deux pays ennemis en d’autres époques
qu’on pensait révolues mais la guerre a toujours sa main prise
Dans celle de l’ennui, de l’argent, du pétrole.
L’or noir a les dents blanches et la nuit les hommes
incendient des capitales pour un baril d’essence.
Ce qu’ils appellent amour
c’est une flèche dans le cou de la raison,
une flèche de plumes d’oiseau lyre, de cordes en nœuds marins,
un sentiment plus grand qu’un premier matin en Amérique,
une douleur au-delà des neiges himalayennes,
la douceur des rives aux eaux si bleues qu’on croit que sous la mer
il n’y a rien que l’œil du ciel éternellement ouvert.
Ce qu’ils appellent amour prend la forme du corps de l’autre,
soudain le sol la ville les murs se renouvellent,
on confond les nuits d’orage et le tambour du train,
on entend dans chaque bonjour le début d’un je t’aime,
dans chaque au revoir on espère à demain.
Ce qu’ils appellent amour
devient violent quand on l’enferme,
devient féroce quand on l’abîme,
on ne sait pas écrire mais on écrit quand même :
je vous aime mais je ne sais pas comment le dire.
Ce qu’ils appellent force est un reste d’enfance mal soignée,
de cour de récréation comme une cage,
de goût de poussière dans une bouche cassée.
C’est un muscle qui n’en peut plus d’être musclé,
un corps qui n’en peut plus d’être chaque soir payé
pour une vague sensation de plaisir
qui maintient les hommes forts debout
mais cette sensation-là, dans le secret des hôtels d’or,
d’autres l’appellent « dégoût ».
Ce qu’ils appellent force est un pays de montagnes douces,
aux pointes arrondies par les pluies et les troupeaux,
aux flancs qu’on prend pour des prairies, aux forêts
si larges qu’elles ressemblent à des paquebots,
sur le pont on entend chaque matin
le raffut des oiseaux.
Je passe mon temps à chercher
dans les lumières changeantes du soir
le vrai nom des choses humaines,
la vie se moque du langage
sous la poitrine une voix d’un autre monde
murmure : ce n’est pas la peine
vous n’avez pas besoin de comprendre
il vous suffit de reconnaître.

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